Actualités  |  Jeudi 9 juin 2011

L'Europe perd ses repères

Depuis plus de 25 ans, l'opinion suisse n'a jamais fait preuve d'autant de scepticisme à l'égard de l'Europe. Seuls 19% des Suisses interrogés lors du sondage régulièrement effectué par le Centre d'études sur la sécurité de l'EPFZ souhaitent aujourd'hui l'adhésion de notre pays à l'Union européenne. Cette désaffection à l'égard de l'Europe n'est pas un phénomène exclusivement helvétique. Même s'il s'explique par une conjonction de facteurs particuliers à notre pays.

L'attitude de Bruxelles et des grands pays voisins, l'Allemagne, l'Italie, la France, à la suite de la crise économique et financière de 2008 n'a pas arrangé les choses. Les noms d'oiseaux dont certains gouvernants étrangers ont cru devoir qualifier la Suisse, son secret bancaire et son système fiscal avaient de quoi choquer. Surtout quand on connaît les compromissions dont sont capables ces mêmes dirigeants étrangers avec le monde de l'argent et les dictateurs aux porte-monnaie bien remplis. Silvio Berlusconi ne fait quand même pas très sérieux en contempteur de la magouille.

Les piètres résultats économiques et sociaux de l'Europe ne sont pas davantage attractifs. Que ce soit en matière de croissance, de pouvoir d'achat, de chômage, de gestion des finances publiques, les pays membres de l'Union européenne ne brillent pas par leurs performances. Même en comparaison avec les meilleurs d'entre eux, la Suisse fait beaucoup mieux. Le franc fort, en particulier par rapport à l'euro, pourrait certes ternir les résultats helvétiques dans un proche avenir. Mais ce sont précisément les graves difficultés dans lesquelles l'Union européenne doit se débattre qui sont à l'origine de l'appréciation de notre monnaie.

L'opinion suisse n'est d'ailleurs pas la seule à douter de l'Europe par les temps qui courent. En 2008, quand les habitants de l'Union européenne sont interrogés sur leur avenir à vingt ans, 68% des Allemands, 64% des Français, 59% des Luxembourgeois, 58% des Italiens et des Belges estiment que leur vie va se détériorer dans les prochaines années… A un moment où la crise n'avait pas encore provoqué les dégâts visibles aujourd'hui de Madrid à Dublin.

Sur le plan politique, l'Union européenne ressemble de plus en plus à une foire d'empoigne. Paris et Rome se livrent à une guéguerre des frontières à propos des immigrés tunisiens qui débarquent à Lampedusa et qui veulent gagner la France. Avant de réclamer une modification des accords de Schengen. Du coup, les Danois rétablissent sans attendre, unilatéralement, les contrôles douaniers à leurs frontières.

Depuis la violation systématique du Pacte de stabilité qui fixait des limites aux déficits budgétaires et à la dette publique des Etats membres, il n'y a plus aucune stabilité des règles. Elles peuvent être modifiées à tout moment, non pas selon les procédures prévues, mais sur la base des pressions d'une situation créée par un pays membre. Il suffit pour cela qu'il soit suffisamment fort pour se faire entendre ou suffisamment faible pour être au bord de la faillite.

L'ambiance entre capitales est au règlement de comptes. Angela Merkel montre du doigt l'âge de la retraite et la durée des vacances dans les pays en difficulté, la Grèce, l'Espagne, le Portugal. On n'arrive même pas à s'entendre entre pays membres à la fois de l'Union européenne et de l'OTAN sur les mesures à prendre à l'égard du dictateur libyen!

L'Europe étale ses querelles intestines alors qu'elle devrait montrer un front uni face à la concurrence mondiale et aux dangers de déclassement qui la menacent. Dans un livre tout récent, au titre symptomatique, "Arrêtez de mépriser les Français", Hervé Morin, ancien ministre du gouvernement Fillon, lance un avertissement. L'attachement à la construction de l'Europe de ce centriste ne fait aucun doute. Son jugement n'en est que plus parlant: "Depuis Maastricht, l'Europe est en panne… C'est clairement d'un nouveau souffle et d'une autre ambition que nous avons besoin si nous voulons réellement éviter le précipice."

Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil vaudois

Article publié dans L'Agefi le jeudi 9 juin 2011