Le président français n’a pas eu de mots ni de gestes assez durs pour stigmatiser "les paradis fiscaux" lors du sommet de Berlin réunissant les principaux dirigeants européens. A le voir et à l’entendre, on aurait pu croire qu’il tenait enfin les responsables de l’actuelle crise mondiale.
Le problème, c’est que le tsumani économique et financier qui nous submerge depuis plusieurs mois est né de l’autre côté de l’Atlantique et nulle part ailleurs. Cette catastrophe ne serait jamais arrivée si les ménages américains n’avaient pas la fâcheuse habitude de vivre largement au-dessus de leurs moyens, si les Etats-Unis eux-mêmes n’accumulaient pas, année après année, d’énormes déficits commerciaux et si leurs banques n’avaient pas inventé l’attrape-nigaud des "subprimes". Mais voilà, le président français ne semble pas s’en être aperçu, à moins qu’il ait préféré ne fâcher personne, ni son ami George W. Bush ni son ami Barak Obama, par quelque déclaration mal placée.
Quant aux "paradis fiscaux", ils n’ont pas été cités par le président français. Tout le monde a cependant compris, au vu du contexte, que la Suisse était visée. Les indigènes qui paient des impôts dans notre pays peuvent attester que la Suisse n’est pas un paradis fiscal. Mais en admettant qu’elle le soit pour certains étrangers, ne faudrait-il pas en déduire qu’il y a, de par le monde et autour d’elle, des enfers fiscaux? Sinon, comment faut-il interpréter le désir d’avenir en Suisse de beaucoup de célébrités françaises, parmi lesquelles on compte pas mal d’amis de Nicolas Sarkozy?
S’il est répréhensible d’accorder des faveurs aux avoirs étrangers, pourquoi Paris vient-il d’adopter une convention fiscale avec le Qatar, dont certains dispositions dérogent au modèle recommandé par l’OCDE? L’immunité fiscale qui en résulte est destinée à "améliorer l’attractivité de la France pour les investisseurs qataris, notamment dans le secteur immobilier". Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites. En clair, cette convention permet d’exonérer d’impôt les plus-values immobilières et les gains en capital réalisés notamment par les membres de la famille de l’émir. Il est vrai que Nicolas Sarkozy lui-même s’est rendu au Qatar à deux reprises en 2008 et que ce pays est un gros réservoir de gaz naturel…
Alors c’est quoi cette belle colère des chefs d’Etat et de gouvernement européens contre les "paradis fiscaux"? Ce n’est rien d’autre qu’une grosse ficelle de gouvernants aux abois, qui consiste à détourner l’attention des mécontents en leur désignant un bouc émissaire. Comme par hasard, le premier Anglais, Gordon Brown, et le premier Français, Nicolas Sarkozy, entre qui ce n’est pas l’amour toujours, tombent d’accord sur la nocivité soudaine des "paradis fiscaux". Evidemment, le gouvernement de Sa Majesté ignorait jusqu’à hier, et continuera d’ignorer demain, les substantiels avantages fiscaux qui expliquent la très étrange concentration d’étrangers fortunés et autres milliardaires russes à la City de Londres.
A la mi-février, 60% des Français n’étaient pas satisfaits des mesures de relance prises par leur président. Même les sympathisants de droite se montraient plutôt critiques. Aussi convenait-il d’attirer l’attention des déçus contre les méchants étrangers responsables de tous les maux. Au point où nous en sommes, la France va-t-elle sérieusement s’en prendre non seulement à la Suisse mais aussi au Luxembourg et à Monaco? Comme un hebdomadaire français le soulignait avec ironie, la sanction sarkozyste contre le rocher de Monaco sera sans doute de priver le Prince Albert de la une de Paris-Match.
Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil vaudois
Article publié dans Le Temps du 11 mars 2009