Le Parlement européen a entériné en septembre dernier le plan de relance de 750 milliards d'euros décidé par les 27 pays de l'Union européenne pour faire face à la crise économique et sociale due au coronavirus. On s'en souvient, la mise au point de ce plan a ranimé cet été la querelle entre les Etats dits «frugaux» et les Etats dits «prodigues». Cinq pays, Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède et Finlande, aux finances bien gérées et à la dette maîtrisée, étaient hostiles à des aides massives et sans contrôle, qui profiteraient surtout à des pays en débâcle bien avant la crise, l'Italie notamment. Au milieu, Jupiter Macron se vantait d'avoir réussi un exploit en faisant passer l'Allemagne d'Angela Merkel du camp des «frugaux» à celui des «prodigues».
La réalité est cependant bien différente. Si Berlin a pu lancer tout seul, dès le mois de mars 2020, un plan «bazooka» de 1'100 milliards d'euros, complété en juin par un plan national supplémentaire de 130 milliards pour deux ans, afin de protéger l'économie et l'emploi, c'est bien parce que l'Allemagne croulait moins sous les dettes que d'autres pays. Au premier trimestre 2020, la dette allemande représentait en effet 61,3% du PIB annuel contre plus de 100% en France, comme dans quatre autres pays de l'Union européenne: la Grèce, l'Italie, le Portugal et la Belgique.
Quant au plan de relance français de «100 milliards» d'euros pour les années 2020-2021, il fait pâle figure par rapport au plan allemand de 130 milliards. Car il n'est en fait que de 60 milliards. Les 40 autres sont en effet des apports de l'Union européenne…
En bonne logique, ce sont les Etats frugaux, à commencer par l'Allemagne, qui ont pu prendre les mesures les plus larges pour soutenir les activités économiques et sociales frappées par la crise du coronavirus.
Dans ce contexte de crise économico-sanitaire, en Suisse, la gauche voudrait faire sauter des pans entiers du frein à l'endettement qui a jusqu'à présent préservé notre pays des errements italiens ou français en nous rangeant plutôt du côté des Etats frugaux. Ce serait une grave erreur. Car ce frein a de nombreux effets salutaires. En fixant des règles contraignantes en matière de remboursement de la dette, il impose aux générations présentes d'assumer leurs dépenses au lieu de les reporter sur les générations futures. En cadrant les dépenses publiques, il limite aussi la consommation des ressources du pays et de la planète. Ce frein à l'endettement ne relève donc pas simplement d'une bonne gestion financière, il a également un effet favorable sur la protection de l'environnement, dont j'ai entendu dire - serait-ce à gauche? - que c'était un objectif prioritaire.
Vouloir supprimer l'encadrement de la dette est tout aussi irresponsable que de vouloir booster à tout prix la consommation à tout va sous prétexte de relance. Il y a quelque chose de tragi-comique à entendre le ministre français de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, appeler régulièrement les Français à consommer sur le plan local, et rapidement, les 100 milliards qu'ils auraient économisé au printemps en raison du Covid. Un conseil difficile à suivre pour deux raisons. D'abord les Français souhaitent pouvoir faire face demain, grâce à leurs économies, au chômage massif qu'on leur annonce. Ensuite consommer local ne va pas très loin dans un pays comme la France où des secteurs entiers de l'économie ont pris le chemin de l'étranger. C'est bien pourquoi l'Allemagne, qui a conservé un large tissu industriel et une forte capacité d'exportation, a pu décider d'une baisse générale de la TVA pour relancer la consommation interne. Alors que la France s'en est bien gardée sachant qu'une telle mesure aggraverait encore son déficit commercial en profitant davantage aux marchés étrangers plutôt qu'à celui de l'Hexagone. Car relancer la consommation chez soi n'a guère de sens économique si cela revient à faire tourner les machines d'autres pays, Chine en tête. Et cela a encore moins de sens écologique.
Au-delà de ces considérations, on peut s'interroger sur le bon sens du plan européen de 750 milliards d'euros. 1. 70% des 750 milliards seront engagés en 2021-22, le solde en 2023. Ce rythme est-il suffisamment rapide pour produire des résultats à temps pour les entreprises et les particuliers les plus directement touchés par la crise? 2. Plus de la moitié de la somme, 390 milliards, représente des subventions à fonds perdus. Le solde, 360 milliards, représente des prêts. C'est Bruxelles qui va distribuer ces milliards, sur la base de quels critères précis? Et surtout qui va contrôler leur investissement sur place, et dans quel délai, en particulier dans les régions où règne la corruption? 3. La Commission européenne pourra emprunter les 750 milliards sur les marchés des capitaux, le remboursement devant intervenir au plus tard en 2058! A cette date, non seulement Angela Merkel aura 104 ans et Emmanuel Macron 81, mais l'immense majorité des actifs d'aujourd'hui sera à la retraite. En 2058! Veut-on dire jamais?
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans Le Temps le 9 octobre 2020