Les données dont la Confédération dispose sur les coûts de la santé font débat. Sont-elles neutres? Sont-elles fiables? Rien n'est moins sûr… Or l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) se sert de ces données pour avaliser les primes fixées chaque année par les assureurs-maladie et exercer la surveillance du système.
Essayer d'y voir plus clair est un vrai parcours du combattant. Ce survol de mon activité parlementaire à ce sujet en témoigne.
Le 29 janvier 2018, au «19h30» de la RTS, le conseiller fédéral Alain Berset évoque des salaires mensuels de 80'000 francs et plus payés par les primes pour des médecins spécialistes. Et il ajoute: «On ne peut pas justifier un salaire pareil sur le dos des gens qui paient des primes».
De quel chapeau Alain Berset a-t-il sorti ces chiffres? C'est ce que je souhaite savoir en déposant une interpellation le 26 février 2018. Réponse? «Les études disponibles ne permettent pas de déterminer avec précision le nombre de médecins qui, disposant d'un salaire ou d'un revenu d'indépendant, gagnent 80'000 francs par mois ou plus.» Il n'y a donc pas de transparence dans ce domaine. Et encore: «Il n'existe pas de donnée précise sur le rapport entre le chiffre d'affaires à la charge de l'assurance obligatoire des soins (AOS) et le revenu pour les médecins pratiquant en cabinet privé.»
Les assureurs au cœur de la détermination des primes
Par conséquent, avec ma collègue Adèle Thorens, je rédige le texte d'une motion parlementaire en collaboration avec la SVM. Déposée le 31 mai 2018, elle constate que les données à disposition sur le système de santé varient selon les différents acteurs qui les fournissent, en raison de différences méthodologiques ou de conflits d'intérêts. Par ailleurs, de nombreux chiffres utilisés par l'OFSP pour établir le monitoring officiel des coûts émanent de SASIS SA, propriété de santésuisse.
Notre motion demande donc que le Conseil fédéral confie la tâche d'établir des statistiques incontestées et à jour à un organisme indépendant, qui pourrait être l'Office fédéral de la statistique.
Surprise: le Conseil fédéral propose d'approuver la motion. Et le Conseil national l'accepte le 14 mars 2019. Mais le Conseil des Etats la refuse le 15 décembre 2020, soit plus d'une année et demie plus tard, sous prétexte qu'un postulat déposé entretemps a chargé le Conseil fédéral de développer une stratégie en matière de données dans le domaine de l'AOS...
Des données pas vraiment données…
Cette manœuvre ne me décourage pas. Le 24 septembre 2020, je dépose une nouvelle motion. Elle demande au Conseil fédéral de prendre les mesures pour que le calcul des primes de l'assurance maladie obligatoire soit exposé de façon transparente et complète. Cette motion s'appuie notamment sur le fait que des sociétés de médecine, dont la SVM, reprochent au calcul des primes d'être fondé sur des estimations et non sur les coûts effectifs.
Le Conseil fédéral ayant proposé de rejeter ma motion, je m'adresse alors directement à l'OFSP, avec mon collègue Vincent Maitre, pour connaître le contenu des contrats conclus entre SASIS et l'OFSP ainsi que les montants que l'OFSP versent à SASIS, en application de la loi sur la transparence. Il s'avère que depuis 2008, des contrats de livraison de données ont été régulièrement conclus par l'OFSP avec santésuisse, puis avec l'entreprise SASIS, dont l'unique actionnaire est santésuisse. Ces contrats, dont le dernier a été conclu en novembre 2019 pour quatre ans, rapporte un peu plus de 235'000 francs par an à SASIS.
Poursuivant notre travail parlementaire, Vincent Maitre et moi avons déposé deux nouvelles motions le 17 juin 2021. Chacune à sa manière, elles demandent que le Conseil fédéral prenne des mesures pour que les assureurs-maladie fournissent de manière exacte, complète et gratuite les données dont l'OFSP a besoin pour remplir ses missions. En septembre 2021, le Conseil fédéral a proposé de rejeter ces deux motions. Elles seront traitées par le Parlement au plus tôt en 2022…
Des signes encourageants
On le voit, il faut beaucoup de ténacité pour ne rien lâcher face à la mauvaise volonté de la Berne fédérale, comme en témoigne aussi le combat pour davantage de transparence mené par le Dr Philippe Eggimann, président de la SVM, et son confrère le Dr Michel Matter, qui siège au Conseil national avec moi. Mais obtenir des données fiables dans le domaine de l'AOS est un enjeu qui en vaut la peine. Certains signes sont d'ailleurs encourageants. Le Parlement n'a-t-il pas récemment adopté une motion, contre l'avis du Conseil fédéral, demandant que les cantons puissent obtenir auprès des assureurs maladie les documents sur lesquels l'OFSP se fonde pour approuver les primes? Feuilleton à suivre.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans le Courrier du médecin vaudois du mois de décembre 2021