A part la Maison-Blanche qui a tout fait pour alerter le monde sur l'imminence de l'agression, les dirigeants occidentaux ont étalé leur surprise, leur stupéfaction, quand Poutine a lancé son armada de feu contre l'Ukraine. Et ils en sont encore souvent à se demander quelles sont les intentions du Kremlin. Ils ne semblent plus avoir le recul nécessaire pour pressentir les événements. Il n'y a pas si longtemps, il suffisait pourtant de s'appeler Jacques Chirac pour rappeler lors d'une émission télévisée: «Relisez le testament de Pierre le Grand et vous y apprendrez bien des choses sur l'Union soviétique.» On était en 1980.
Les temps changent, certes. Mais la géopolitique et l'histoire ont leur poids séculaire. Et depuis deux décennies, Poutine a multiplié les signes qui auraient dû alerter toute l'Europe, et pas seulement les pays les plus proches de l'Ours. Il a d'abord progressivement plongé son pays dans la dictature pour affermir son pouvoir, en le transformant pour finir en pouvoir à vie. En parallèle, il a reconstruit une armée puissante, aussi bien sur le plan de la guerre classique qu'en matière de frappe nucléaire. Il a ensuite montré ce qu'il était capable de faire de ce double pouvoir politique et militaire, en montant peu à peu en puissance.
En Tchétchénie d'abord, dès 1999, où il est allé «buter les Tchéchènes jusque dans les chiottes», derrière le paravent de la lutte contre le terrorisme islamiste. En Géorgie ensuite, en 2008, alors que l'armée russe préparait cette intervention depuis deux ans déjà. En Crimée encore, en 2014, annexée de main de maître, un peu comme Hitler l'avait fait de l'Autriche. Plus loin, en Syrie, en 2015, où il se lance à nouveau, aux côtés de Bachar el-Assad, dans une guerre d'extermination de toute opposition: écoles et hôpitaux bombardés, zones résidentielles aplaties. Au Haut-Karabagh, où il s'installe en 2020, sous prétexte de mettre fin à l'affrontement entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, un conflit que la Turquie d'Erdogan, officiellement membre de l'OTAN, a largement contribué à alimenter.
Comme l'écrasement de la Pologne par l'Allemagne d'Hitler en 1939 - en moins d'un mois -, l'invasion russe en Ukraine est le résultat de l'inaction et de l'impuissance de l'Occident face à toutes les agressions antérieures. On a cru que fréquenter Poutine, se mettre à son service rétribué, comme l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder ou l'ancien Premier ministre français François Fillon, le tutoyer comme le fait le président Macron, faire des affaires avec lui au point de se rendre complètement dépendant de son gaz comme l'a fait l'Allemagne d'Angela Merkel, on a cru que ces «bonnes manières» suffiraient à amadouer le maître du Kremlin. Tout cela n'a fait qu'augmenter son mépris des démocraties occidentales.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans Le Temps du 12 mars 2022