Le président de l'USAM, Fabio Regazzi, l'a rappelé en juillet dernier dans une déclaration au Blick. «En tant qu'entrepreneur, a-t-il dit, je sais que le pire est l'incertitude.» Or, en matière d'incertitudes, c'est à une véritable avalanche d'inconnues que les sociétés occidentales sont aujourd'hui confrontées. La pandémie d'abord puis la guerre en Ukraine ont entraîné toute une série d'événements qui ont pris l'économie mondiale par surprise. Comme l'a relevé la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, ces difficultés ne se succèdent pas, elles se superposent. Ce qu'un ancien président français, Jacques Chirac pour ne pas le nommer, résumait de manière plus crue: «Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille».
La pandémie de Covid-19 n'a pas seulement eu des effets immédiats sur la mortalité, le système de santé et de très nombreux secteurs de l'économie, sans compter les souffrances humaines et les dégâts psychologiques. Des effets à long terme sont désormais visibles. Les secteurs les plus touchés par la pandémie, la restauration et l'hôtellerie, les hôpitaux notamment, doivent faire face à une fuite de leur personnel vers des branches moins exposées, un phénomène qui vient s'ajouter au déficit chronique et généralisé de main-d'œuvre formée dans notre pays.
Le travail à distance qui s'est répandu partout où c'était possible, avec ses avantages et ses inconvénients, a mis en lumière de nouvelles possibilités de délocalisation des emplois. Par ailleurs, de nombreuses entreprises combinent désormais travail en présentiel et à distance pour répondre aux nouvelles exigences des collaboratrices et des collaborateurs. Mais cet avantage qu'il est possible d'organiser dans certains secteurs d'activité accroît encore la différence des conditions de travail avec tous les métiers – et ils sont nombreux – où la présence sur place est par nature requise.
Si le risque de pandémie n'a pas vraiment disparu, son accalmie laissait espérer une reprise à la fois forte et rapide. Il a fallu déchanter. Les désorganisations provoquées dans les chaînes de production et de transport ont rapidement mis en évidence les difficultés d'approvisionnement de toutes sortes et un retour de l'inflation, que tous les experts pensaient alors passager.
La guerre en Ukraine n'a fait qu'aggraver ces perturbations, en les rendant générales et durables. Car l'Europe est en guerre. Elle n'est pas seulement le théâtre «d'opérations» très spéciales. L'Union européenne livre armes et munitions en tout genre à l'Ukraine pour la soutenir dans sa résistance à l'invasion russe. Et les conséquences des sanctions économiques prises contre le régime de Poutine nous touchent directement.
Notre approvisionnement en denrées alimentaires, en énergies, en matières premières et en équipements se trouve ralenti ou clairement menacé. Des ruptures de fournitures de gaz ou d'électricité font partie des perspectives envisageables, voire probables. Pour André Duvillard, qui a été pendant dix ans le délégué du Réseau national de sécurité, une panne générale de courant en plein hiver est le scénario le plus crédible. Des limites de consommation pour les entreprises comme pour les particuliers sont à l'ordre du jour, dans une société qui a perdu depuis des décennies la notion de restrictions.
Non seulement l'inflation est de retour, mais elle s'accélère, même si elle reste, en Suisse, inférieure à celle de nos voisins: +3.4% sur un an en juin 2022, contre 2.9% en mai. Et ce n'est pas fini. L'augmentation des prix à la production en Suisse (+4.4% sur un an en juin) et surtout des prix à l'importation (+12.1% à la même date) est déjà beaucoup plus élevée.
Un facteur d'interrogation supplémentaire s'ajoute pour l'économie suisse. Tout ce qui a été construit – difficilement – avec l'Union européenne à travers les accords bilatéraux est aujourd'hui fragilisé. Les échanges concernant la formation et la recherche sont déjà touchés. Nul doute que cette incertitude se maintiendra aussi longtemps que les enjeux institutionnels ne seront pas réglés avec Bruxelles alors que les relations avec nos partenaires européens ont un impact global sur notre économie. Car il est vain d'attendre des concessions importantes de la part de nos principaux interlocuteurs, eux-mêmes fragilisés, et qui font face en France, en Italie et en Allemagne, à des situations politiques et sociales compliquées pour employer un mot à la mode.
Dans ce décor peu réjouissant, l'Etat ne peut pas tout. L'autorité politique – Conseil fédéral et Parlement – ne peut pas, pour tout, partout et tout le temps, se transformer en distributeur automatique de billets, quoi qu'il en coûte. Mais on peut au moins lui demander de ne pas ajouter d'incertitudes supplémentaires à une situation instable. De se montrer sérieux, cohérent et solide, en n'ajoutant pas de nouvelles contraintes inutiles pour les entreprises en cette période trouble. Et de prévoir, dès maintenant, toutes les mesures susceptibles de permettre au pays – entreprises et particuliers – d'affronter les pénuries qui s'annoncent. Aujourd'hui, autant le dire clairement, le Conseil fédéral n'est pas prêt et le pays pas préparé.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article pubilé dans le Journal des arts et métiers le 2 septembre 2022