On ne badine pas avec la mort. Plus d'une vingtaine de décès. Plusieurs centaines de patients hospitalisés. Les méfaits d'une bactérie au nom d'extraterrestre, Eceh 0104:H4, méritaient une information d'autant plus sérieuse que toute épidémie est susceptible de créer la panique. Au lieu de cela, un laboratoire de Hambourg a ajouté un immense gâchis aux victimes de la bactérie. En désignant immédiatement un coupable aujourd'hui innocenté, il n'a fait que répandre une intoxication supplémentaire.
Personne n'a songé à respecter la présomption d'innocence du concombre espagnol. Comme le lançait un agriculteur ibérique, "on est accusé sans preuve et sans moyen de se défendre." Le comble, c'est que cette épidémie mise tout d'abord sur le dos d'un légume est due à une bactérie qu'on appelle aussi "bactérie du hamburger", parce qu'elle peut également vous envoyer à l'hôpital lorsque vous avez consommé de la viande crue ou mal cuite.
Dans ce monde où le temps n'a plus cours, où il s'agit d'avoir, sur le champ, réponse à tout, même certains scientifiques ne semblent plus capables de dire: "Nous ne savons pas. Nous cherchons, bien sûr, nous avons des hypothèses, mais nous n'avons aucune preuve. Il est donc exclu que nous communiquions sur des incertitudes." Savoir se taire, même en expliquant pourquoi on garde le silence, vous livre à toutes sortes de soupçons. Alors on préfère souvent dire n'importe quoi.
A la suite de l'Allemagne, plusieurs pays d'Europe ont bloqué la distribution des concombres ibériques. La Commission européenne a mis en garde contre leur consommation. D'autres pays, comme les Emirats arabes unis ou le Liban, ont interdit leur importation. La Russie a carrément fermé ses frontières à tous les fruits et légumes en provenance de l'Union européenne alors qu'elle est le principal débouché extérieur des agriculteurs du Portugal à la Pologne.
Partout, la vente des concombres, même s'ils n'étaient pas espagnols, a plongé. La désaffection des consommateurs a touché d'autres produits, comme les tomates. Toute une branche économique a été gravement touchée, des entreprises et des milliers d'emplois se trouvent menacés. A tort. Pour rien. Il va falloir réunir les ministres européens de l'agriculture le 17 juin pour évaluer les dégâts de cette communication irresponsable et tenter de réparer les dégâts. La facture sera salée.
Entendra-t-on: "L'Allemagne paiera"? Car l'affaire a aussi fait ressurgir d'étranges relents nationalistes. On a vu apparaître sur les étals des marchés allemands des écriteaux: "Ici on ne vend pas de produits espagnols". La Russie a justifié sa décision en expliquant qu'elle ne voulait pas "empoisonner" ses citoyens au nom des règles de l'OMC. D'un dérapage scientifique on est rapidement passé aux dérapages politiques. Malheureusement, ce n'est sans doute pas fini.
Olivier Feller
Député radical
Article publié dans 24 heures le mardi 7 juin 2011