En octobre dernier, le Secrétariat d’Etat à l’économie revoit à la baisse ses prévisions pour l’année 2005. Le taux de croissance annuelle passe de 2.3% à 2%. En janvier, même scénario: cette fois, le taux de croissance prévu pour l’année qui commence passe de 2% à 1.5%. Et le voilà ramené au début de cet été à un maigre 0.9%.
Depuis plusieurs années, la reprise ressemble à ces mirages qui disparaissent au fur et à mesure que l’on avance. En 2004, après un bon début, l’économie suisse a cessé de croître au cours du dernier trimestre. En 2003, les prévisionnistes nous avaient annoncé une croissance supérieure à 1%. L’année s’est terminée par une légère récession. En 2002, nous aurions dû avoir un taux de croissance de 1.3%. Il n’a pas dépassé 0.2%.
L’erreur est non seulement systématique mais elle se caractérise de surcroît par une fâcheuse tendance à pécher par optimisme. Car derrière les causes conjoncturelles mises en avant pour expliquer ces désillusions -la guerre en Irak, un dollar trop faible, un euro trop fort, le niveau des prix du pétrole-, plusieurs phénomènes sont à l’oeuvre depuis le début des années nonante.
1. Quand elle est au rendez-vous, la croissance reste modeste. «La reprise se poursuit avec un certain retard et une certaine mollesse», déclarait par exemple Jean-Pierre Roth, le président de la Direction générale de la BNS, en juin 2005. Tout se passe comme si nous avions atteint un certain plafond de plus en plus difficile à dépasser.
2. La croissance est désormais moins créatrice d’emplois qu’auparavant. Pour lutter contre ce phénomène, de nombreux Etats ont eu recours à deux types d’actions. D’une part, l’allègement des coûts du travail en cherchant à freiner la hausse des salaires ou en diminuant les charges fiscales des entreprises qui embauchent. D’autre part, la réduction de la durée du travail en abaissant le temps de travail hebdomadaire et l’âge de la retraite. Ces politiques ont certes créé des places de travail mais le taux de chômage est resté très élevé. Il est aujourd’hui de 8% en moyenne dans l’Europe des Quinze, de 8.9% dans l’Europe des Vingt-Cinq.
3. Comme la Suisse, une bonne partie des pays d’Europe occidentale sont confrontés au vieillissement de la population, à la diminution du nombre des actifs par rapport aux jeunes en formation et aux retraités ainsi qu’à la concurrence des marchés émergents.
Cette réalité structurelle commence à peser lourd sur notre avenir. Nous n’avons donc pas besoin de prévisions économiques qui égarent l’opinion. Car ces reprises annoncées et toujours avortées ont des effets pervers. Elles tendent à faire croire au public que tout ira mieux demain et qu’il suffit d’avoir un peu de patience. Comme si le déclin d’une société était par essence impossible…
Ces prévisions trop favorables empêchent en outre les acteurs politiques, les entreprises et les ménages privés d’anticiper sur des bases saines. Elles retardent les prises de conscience des autorités publiques et les mesures indispensables au maintien de notre prospérité. Ne vaudrait-il pas mieux renoncer à cette politique de l’autruche qui n’intègre pas les risques liés aux changements extrêmement rapides de l’économie mondiale ? Les pouvoirs publics, ne devraient-ils pas, dans la situation actuelle, tabler sur un taux de croissance quasiment nul et agir en conséquence au niveau des prévisions budgétaires et des redistributions envisagées ? Toute bonne surprise leur permettrait de reconstituer les marges de manœuvre qui font si cruellement défaut aujourd’hui pour l’investissement.
Olivier Feller,
Député au Grand Conseil
Article paru dans 24 Heures du 19 juillet 2005, rubrique "Opinions"