Le marché de la santé n’est pas un marché comme les autres. Mais s’il est juste de tenir compte de ses particularités, cela ne doit pas conduire à une étatisation qui ruinerait la qualité de la médecine.
Le patient n’est pas un consommateur comme les autres. On ne va pas chez un médecin comme on entre dans un supermarché, comme on loue un appartement ni comme on achète une voiture. Même en admettant que certains malades consultent pour le plaisir, l’immense majorité d’entre eux recourent aux soins pour guérir une souffrance qui les empêche de vivre normalement ou qui menace leur existence. Cette dimension-là, qui imprègne profondément la relation soignant-soigné, ne doit pas être oubliée quand on parle du marché des soins.
Deuxième élément particulier au domaine de la santé: elle coûte d’autant plus cher qu’on est gravement malade et son prix devient alors insupportable au commun des mortels. Pour donner un ordre de grandeur, plus de 50% des dépenses de santé sont occasionnés par 5% seulement de la population. La plupart de ces patients ne pourraient pas assumer la facture. L’assurance maladie est née de ce constat et elle a permis de rompre le lien entre la maladie et la misère.
Mais il en résulte une troisième particularité: le patient n’est pas un payeur comme les autres. Abonné d’une certaine manière au système de santé par le paiement d’une prime mensuelle, il ne paie directement qu’une partie des soins qu’il consomme: celle qui ne sera pas remboursée au final par l’assurance maladie.
En fait, la situation est encore plus compliquée. Car le système de santé est financé par trois sources complémentaires. Par l’Etat et les subventions qu’il alloue aux infrastructures, en particulier aux hôpitaux publics ou reconnus d’intérêt public, grâce aux impôts payés par les contribuables. Par les assurances maladie, grâce aux primes payées par les assurés, l’Etat prenant cependant le relais de ceux qui n’en ont pas les moyens. Par les patients, pour la part de leur consommation personnelle qui n’est pas remboursée.
Mais la complexité du système ne s’arrête pas là. Les prix pratiqués relèvent le plus souvent de conventions, à l’instar de Tarmed. L’offre médicale est limitée par un numerus clausus de fait dans les facultés de médecine. Etc. La santé est donc un marché largement régulé. Ce qui ne l’empêche pas d’aller à la dérive. Alors que des mouvements de fond sont à l’œuvre - le vieillissement de la population, le progrès des nouvelles technologies, les changements de société - qui expliquent pour une très large part l’augmentation des coûts, l’opacité du système permet toutes les interprétations. Un jour, ce sont les patients qui sont soupçonnés de surconsommation. Ils ont l’impression que c’est gratuit, disent les uns. Pour les autres, le niveau élevé des primes les incite au contraire à en avoir pour leur argent. Un autre jour, ce sont les médecins qui sont accusés de pousser à la consommation.
Une chose est sûre. Une plus grande étatisation du système ne résoudrait rien, tout en portant atteinte à la qualité des soins dont nous bénéficions. C’est pourquoi toute réforme doit respecter les principes indispensables au maintien d’une médecine de qualité dans notre pays:
1. Le libre choix du médecin par le patient, principe auquel la population est fortement attachée.
2. L’autonomie des médecins dans le cadre de règles de bonnes pratiques définis par la profession.
3. La concurrence la plus large possible, compte tenu des particularités du marché de la santé, entre les prestataires de soins comme entre les assureurs.
Olivier Feller
Député au Grand Conseil vaudois
Article publié dans le "Courrier du médecin vaudois", août-septembre 2006