Le moratoire est à la mode. Dans les cercles politiques, on semble apprécier d'autant plus cette formule qu'elle permet de camoufler, au moins un peu, qu'on joue à l'autruche. Car le moratoire est une de ces décisions qui vous mettent la tête dans le sable. C'est un acte qui fait semblant de maîtriser la situation sans rien résoudre dans les faits.
Jusqu'au 31 décembre 2011, un moratoire a "géré" pendant une dizaine d'années l'ouverture des cabinets médicaux dans notre pays. Effets positifs? Néant. A-t-il freiné la hausse des coûts de la santé? Avec une augmentation moyenne de 4% par an, pendant la période 2000-2010, des prestations par assuré dans le cadre de l'assurance obligatoire de soins, il est périlleux de le prétendre. Ce moratoire a-t-il résolu la pénurie de médecins généralistes ou de pédiatres? A-t-il arrêté la désertification médicale dans les régions périphériques? Non, puisque ces problèmes sont plus présents que jamais. A-t-on profité de ce délai pour discuter avec les médecins et les cantons de véritables solutions aux difficultés rencontrées? Non.
Toujours est-il qu'après la levée du moratoire, un phénomène semble avoir surpris nos autorités: l'explosion des demandes d'ouverture de cabinets médicaux. Comme si ce mouvement était étonnant après dix ans de blocage… Berne n'ayant donc rien prévu - quand bien même gouverner, c'est prévoir - le Conseil fédéral a annoncé le retour du moratoire au printemps 2013 pour les cabinets de spécialistes. Ce qui a eu pour effet, comme tout le monde pouvait s'y attendre, d'accélérer encore les demandes d'ouverture de cabinets.
Le non-sens ne s'arrête pas là. Lorsque le conseiller fédéral Alain Berset annonce le retour du moratoire, il ne mentionne même pas le pourcentage de médecins étrangers qui demandent à s'installer dans notre pays depuis début 2012. Or c'est l'un des problèmes. Aujourd'hui un médecin sur quatre pratiquant dans notre pays a été formé à l'étranger, et cette proportion est largement plus élevée pour certains spécialistes. Comme leur formation est souvent plus courte qu'en Suisse, les médecins étrangers peuvent ouvrir un cabinet sans avoir l'expérience de leurs collègues helvétiques. Pour contrer ce phénomène, la Fédération des médecins suisses (FMH) et les cantons réclament des mesures d'accompagnement de la libre circulation, comme l'obligation pour les médecins étrangers de pratiquer un temps dans un hôpital avant de pouvoir s'installer en cabinet.
Au mois d'août dernier, la Conférence universitaire suisse, la Conférence des directeurs cantonaux de la santé, l'Office fédéral de la santé publique et le Département fédéral de l'intérieur ont fait savoir qu'ils étaient d'accord sur un point. A partir de 2018-2019, la Suisse devra former 300 médecins de plus par année. Alors que le financement de cet effort considérable (au moins 56 millions de francs) doit encore être étudié, croit-on vraiment que l'annonce d'un nouveau moratoire de trois ans est susceptible d'augmenter l'attrait de la profession?
La justification du moratoire repose en outre sur un postulat erroné. C'est l'augmentation des cabinets médicaux, en particulier des spécialistes, dans les grandes agglomérations où ils se concentrent, qui ferait exploser les coûts de la santé. Comment expliquer, si c'était vrai, que l'activité d'un établissement comme le CHUV, hôpital universitaire public, augmente chaque année d'environ 2% pour les hospitalisations et de 5% pour les prestations ambulatoires? Ce sont bien les besoins de santé qui augmentent et non pas les médecins ou les hôpitaux qui créent la demande. Dans ce contexte, transformer les médecins en bouc émissaire est une absurdité.
Renforcer l'attrait de la médecine générale, éviter la désertification médicale dans certaines régions, poser des critères clairs à l'ouverture de nouveaux cabinets de spécialistes, voilà les objectifs recherchés. Ils ne seront pas atteints en claquant des doigts. Les solutions doivent être préparées avec les acteurs directement concernés, les médecins et les cantons, avec ceux qui connaissent le métier et les besoins de chaque région. Comme ils l'ont d'ailleurs proposé il y a longtemps. Et que faut-il constater? Que les sociétés cantonales de médecine et leurs associations faîtières n'ont pas été conviées à l'audition sur le moratoire organisée le 5 novembre dernier par le conseiller fédéral Alain Berset. On ne ferait pas mieux si l'on voulait aller dans le mur.
Olivier Feller
Conseiller national libéral-radical vaudois
Article publié dans Le Temps le 11 décembre 2012