Une fraude de 4 milliards d’euros. C’est le montant évoqué par la presse allemande juste après la révélation de l’affaire d’évasion fiscale au Liechtenstein. On parle aujourd’hui de 200 millions. Ce grand écart à la baisse montre bien qu’il fallait absolument lancer un chiffre capable d’exciter les passions après les milliards perdus par de nombreuses banques européennes, y compris des banques allemandes, dans la crise des «subprime» et ses micmacs. L’affaire du Liechtenstein étant revenue à de plus justes proportions, on peut aujourd’hui en brosser un tableau moins émotionnel.
Dans sa canonnade destinée à faire oublier les difficultés intérieures de son gouvernement, qui sont considérables, le ministre allemand des Finances s’en est pris non seulement au Liechtenstein, mais aussi à la Suisse, au Luxembourg et à l’Autriche. Pour la seule Europe, Peer Steinbrück aurait pu ajouter (pourquoi ne l’a-t-il pas fait?) la Belgique, Malte, Chypre et même le Royaume-Uni ou les Antilles françaises. Car tous ces pays, à l’exception du Liechtenstein, se trouvent dans la même situation que la Suisse sans être des paradis fiscaux. Ils ne figurent pas sur la liste établie en la matière par l’OCDE. Ceux qui en doutent peuvent le vérifier.
En fait, ce qui dérange M. Steinbrück et ses acolytes, ce sont les places financières qui pratiquent, d’une manière ou d’une autre, le secret bancaire. Et dont notre pays fait partie avec le soutien d’environ trois Suisses sur quatre. La situation ne serait peut-être pas différente dans les démocraties qui nous entourent si elles offraient à leurs citoyens la possibilité de s’exprimer directement sur les sujets qui les intéressent, au lieu de se contenter de leur demander d’élire tous les quatre ou cinq ans des représentants qui n’en font qu’à leur tête.
Le premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, n’a pas manqué d’ironiser sur les exigences allemandes: «Je m’attends à de nombreuses années de discussions fascinantes et fondamentales», a-t-il déclaré. Car les places financières asiatiques, comme Hong Kong, Singapour et Macao, ne respectent même pas les engagements déjà en vigueur au sein de l’Union européenne et entre la Suisse et Bruxelles. L’Allemagne et ses partisans en Europe ont-ils l’intention de s’en prendre avec la même véhémence à ces places-là? On peut en douter à voir l’extrême prudence avec laquelle tous les gouvernements occidentaux abordent la question des droits de l’homme avec la Chine, de peur d’en perdre les marchés. Comme l’écrivait Le Monde, le 27 février dernier, face aux turbulences actuelles en Europe, «les capitaux seraient en train de prendre la route de Hong Kong et de Singapour». Peut-être alimenteront-ils, au bout du compte, ces fonds souverains qui viennent de plus en plus souvent au secours des banques et des entreprises européennes en difficulté.
Appel à la délation rétribuée, recours aux services spéciaux, les méthodes utilisées par l’Allemagne dans cette affaire ont de quoi inquiéter, sans qu’il soit nécessaire de faire référence au passé. Vous avez aimé l’affaire des fiches dans notre pays à la fin des années 80? Vous adorerez la traque aux comptes bancaires. Quand les services secrets se mêlent de surveiller par principe la vie des gens, quel que soit le motif «honorable» invoqué, c’est tout l’Etat de droit qui est menacé. Et bonjour les dérives des petits chefs et des grands!
Certes, l’évasion fiscale n’est pas une bonne réponse, sur le plan civique, à la frustration que peut faire naître une déclaration d’impôts. Mais le plaisir manifeste que les socialistes de notre pays, leur nouveau président en tête, ont à vilipender la place financière suisse et son système bancaire témoigne d’une belle incohérence. La même qui leur fait réclamer haut et fort une adhésion à l’Union européenne, tout en freinant des quatre fers la libre entrée des ressortissants européens dans notre pays. Parce que, pour reprendre la formule de Fernand Raynaud, ils viendraient manger le pain des Suisses.
Olivier Feller
Article publié dans Le Temps du jeudi 13 mars 2008