Au printemps dernier, 43% des Européens pensaient que la crise était derrière eux. On sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de cet optimisme excessif qui touchait près d'un Européen sur deux, selon l'Eurobaromètre publié par la Commission de Bruxelles au début du mois d'août. Ce résultat montre bien qu'une large partie de l'opinion n'a compris ni l'ampleur ni les conséquences des déficits accumulés par les Etats-Unis et la plupart des pays européens depuis des décennies. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, l'admet: "Nous vivons une crise, non pas de la zone euro, mais de l'endettement public." On peut en dire autant du dollar.
Il est vrai qu'en 2008 les gouvernements occidentaux ont dû venir massivement au secours de certaines banques, engluées dans la crise des "subprimes". Cela n'a rien arrangé. Mais le mal est beaucoup plus ancien et beaucoup plus profond à Washington, comme à Paris, Berlin, Lisbonne ou Athènes. Dans les dix plus grandes économies développées, la dette a pris l'ascenseur bien avant 2008. Un exemple. Entre 2002 et 2004, la dette publique française a augmenté de 165 milliards d'euros. Soit près de 2000 euros par seconde. L'hebdomadaire Le Point s'était lui-même alarmé de cette fuite en avant, lors de l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, en mai 2007. Il avait fait un calcul déflagrant. Même en imaginant un taux de croissance de 5% par an, inconnu depuis longtemps en Europe, le revenu supplémentaire que la France pourrait en tirer suffirait à peine à payer les intérêts de sa dette. "C'est dire, concluait l'hebdomadaire, à quel point il ne faut pas compter sur la croissance pour mettre un terme à la spirale de l'endettement."
Même si la Grèce a poussé le bouchon très loin, en truquant son bilan pour pouvoir continuer à dépenser et à emprunter au-delà de ses capacités, les grands pays de l'Union européenne, comme la France et même l’Allemagne, sont loin d'avoir été exemplaires. Ils ne se sont guère gênés pour piétiner le pacte de stabilité adopté lors de la création de la monnaie unique.
La première règle posée était la suivante: pas de déficit budgétaire annuel supérieur à 3% du produit intérieur brut (PIB). Il s'agissait là d'une limite à ne pas dépasser pendant les années de mauvaise conjoncture. Les bonnes années, les budgets devaient faire mieux, viser l'équilibre ou l'excédent de recettes de manière à disposer de réserves pour les coups durs. Deuxième règle à respecter: l'endettement cumulé d'un pays ne devait pas dépasser 60% du PIB.
Or ce pacte, non de rigueur ou d'austérité, mais de simple bon sens, n'a pas résisté aux gourmandises. Dès 2003, les deux plus grands pays de la zone euro, l'Allemagne et la France, ont obtenu qu'il ne soit plus exigé de le respecter. Les déficits budgétaires supérieurs à 3% du PIB sont devenus la règle.
La leçon est claire. La dépense publique, surtout quand elle a recours à l'emprunt, doit avoir une priorité, même en période de crise. Cette priorité, c'est l'investissement, non la consommation immédiate et généralisée. La Suisse sait bien ce que cela veut dire quand elle énumère ses atouts face à la concurrence internationale. L'investissement doit soutenir l'ensemble des conditions-cadre qui font le succès d'une économie: la formation, la recherche, mais aussi les infrastructures, en les adaptant régulièrement à l'évolution démographique et technologique. Et la diversité du tissu économique ne doit pas être oubliée. Les pays qui ont le mieux résisté à la crise financière de 2008 sont ceux qui ont conservé un secteur industriel important. La métallurgie suisse, par exemple, qui exporte 80% de sa production, représente 320'000 emplois. L'effort public doit lutter contre la désindustrialisation. La production et l'exportation de biens reste un moteur essentiel de notre prospérité et de la création d'emplois dans nos domaines traditionnels comme dans les secteurs du futur. Sur ce point, la Suisse n'a pas été à la hauteur ces dernières années. Nos investissements ont été trop frileux dans le domaine des infrastructures, des nouvelles technologies et de la production d'énergies renouvelables. Il n'est pas trop tard pour corriger le tir.
Les mesures annoncées par le Conseil fédéral le 17 août dernier en sont la preuve. Les deux milliards prévus doivent être consacrés aux secteurs d'exportation menacés par le franc fort, tourisme compris, à l'innovation et à la recherche ainsi qu'aux infrastructures. Le but affiché de cette politique est de lutter contre les délocalisations et de maintenir, voire de créer, de l'emploi. Elle est d'autant plus salutaire qu'elle n'augmentera pas l'endettement de notre pays: les deux milliards seront pris sur les excédents de recettes attendus par la Confédération en 2011. On peut simplement regretter que cette vision ait dû attendre une nouvelle crise économique mondiale pour émerger sous la Coupole.
Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil vaudois
Article publié dans Le Temps le mercredi 31 août 2011