C’est de justesse que l’initiative visant à assurer la sécurité du logement à la retraite au travers d’une réforme de l’imposition de la valeur locative a été refusée le 23 septembre dernier. Près de 48% du peuple a soutenu la proposition, de même que 9 cantons et un demi-canton. Ce n’est pas insignifiant dès lors que les partisans du texte ont dû faire faire face à l’opposition de la quasi-totalité de l’establishment politique, du Conseil fédéral à la Conférence des directeurs cantonaux des finances en passant par plusieurs partis gouvernementaux et l’Asloca. Dans ce contexte, les menaces quant aux éventuelles pertes de recettes fiscales - fortement exagérées -, la complexité de l’objet et une certaine lassitude due à la succession de scrutins populaires consacrés à la propriété du logement n’ont pas permis de convaincre une majorité des votants.
La campagne de votation a néanmoins donné l’occasion de mettre en évidence le caractère inéquitable de l’impôt sur la valeur locative. Cet impôt frappe un revenu fictif, ajouté au revenu imposable, alors qu'il ne correspond à aucune rentrée financière réelle. Le problème est accentué dans un certain nombre de cantons, comme le canton de Vaud, où les valeurs locatives sont indexées chaque année. Cette pratique amène les propriétaires de leur logement à devoir payer chaque année davantage d’impôts sans que leur capacité financière réelle n’augmente forcément.
Le régime fiscal actuel explique aussi dans une large mesure l’ampleur de la dette hypothécaire globale des ménages dans notre pays, qui s’élève à quelque 650 milliards de francs. C’est énorme, surtout en comparaison avec le produit intérieur brut de la Suisse, qui est de quelque 590 milliards de francs. Cette situation n’est pas saine. Elle renforce l’exposition des propriétaires aux aléas de la conjoncture, ce qui n’est guère propice à la stabilité économique de la Suisse à long terme.
Revoir le régime fiscal
Dès le lendemain de la votation, plusieurs parlementaires ont déposé des interventions aux Chambres fédérales en vue d’une modification de l’imposition de la valeur locative. La Conférence des directeurs cantonaux des finances a admis l’opportunité d’une révision du régime actuel. Même l’Asloca ne s’est pas déclarée hostile à une refonte du système. Le débat va donc reprendre.
Ce qui complique le processus de réforme, c’est que certains milieux réclament la suppression simultanée de l’impôt sur la valeur locative et de l’une ou de l’autre, voire de la totalité, des déductions fiscales actuellement admises pour les propriétaires. C’est là que le bât blesse. Car chaque déduction poursuit un objectif bien précis, qui a sa légitimité propre. Si le législateur a prévu la déduction des frais d’entretien, c’est pour inciter les propriétaires à conserver leurs biens dans un bon état. Si la déduction des intérêts de la dette hypothécaire est admise, c’est pour encourager l’accession à la propriété de son logement. S’il est possible de déduire les frais engendrés par des travaux de rénovation énergétique, c’est pour favoriser les économies d’énergie, conformément aux principes du développement durable. Etc. On ne saurait donc supprimer purement et simplement les déductions prévues aujourd’hui sans provoquer des conséquences dommageables.
Il est tout aussi contestable de mettre en relation l’impôt sur la valeur locative avec la possibilité de déduire les intérêts hypothécaires, comme si l’un ne pouvait pas exister sans l’autre. En réalité, les deux dispositifs peuvent être aménagés indépendamment l’un de l’autre. C’est une question de choix politique. Celui qui emprunte de l’argent en vue d’acheter un yacht est autorisé à déduire les intérêts de sa dette sans devoir s’acquitter en parallèle d’un impôt sur la valeur de jouissance de son bateau. Pourquoi ne pas appliquer la même logique au propriétaire d’un logement ?
Respecter la Constitution
Au-delà de toutes ces subtilités demeure une question de base. Quelles mesures le Conseil fédéral entend-il prendre pour mettre enfin en œuvre les objectifs qui lui sont fixés par la Constitution fédérale? L’article 108 exige en effet que la Confédération encourage «l’acquisition d’appartements et de maisons familiales destinés à l’usage personnel de particuliers». L’article 112 y ajoute la promotion de «la prévoyance individuelle, notamment par des mesures fiscales et par une politique facilitant l’accession à la propriété». Rien n'a été fait jusqu'ici dans ce sens. Au contraire, le Conseil fédéral n'a pas cessé, ces derniers mois, de s’écarter de l’esprit de ces dispositions constitutionnelles. D’abord en recommandant le rejet des initiatives concernant l’épargne-logement et l’impôt sur la valeur locative. Puis en limitant les possibilités de retrait du 2e pilier en vue de l’acquisition d’un logement…
Olivier Feller
Conseiller national PLR VD
Secrétaire général de la Fédération romande immobilière
Article publié dans le Journal des arts et métiers du mois d'octobre 2012