Une votation fédérale annulée par le Tribunal fédéral, cette première historique a évidemment fait du bruit et provoqué quelques secousses. Cette décision a pourtant simplement rappelé qu'il n'y a pas de démocratie sans contre-pouvoirs. Partout, la démocratie s'est forgée contre le pouvoir exécutif. En lui contestant le droit de lever l'impôt ou de faire la loi «sans autorisation» du peuple ou de ses représentants. Partout, dès qu'un dirigeant veut instaurer un régime autoritaire, il commence par s'en prendre aux contre-pouvoirs dont l'indépendance lui fait obstacle. Le parlement, la justice, les médias, les corps intermédiaires voient leurs prérogatives ou leur liberté progressivement vidées de leur substance.
En Suisse, le parlement et la justice peuvent dire non à l'exécutif, les médias et les corps intermédiaires peuvent se montrer critiques. C'est la règle, même quand elle dérange, et c'est heureux.
Dans son rôle de contre-pouvoir, le parlement peut stopper un projet de loi ou de traité voulu par le Conseil fédéral. En 2014, par exemple, il a refusé la convention de double imposition sur les successions signée avec la France par Eveline Widmer-Schlumpf. Cette convention trop complaisante à l'égard de Paris comportait des dispositions contraires aux standards fixés par l'OCDE sur la double imposition.
Les Chambres fédérales ont aussi la possibilité d'instituer une commission d'enquête parlementaire. Celle qui est restée la plus célèbre dans notre pays a porté sur l'acquisition des avions de combat Mirage et avait conduit au retrait du conseiller fédéral Paul Chaudet.
Les commissions des finances et de gestion jouent également un rôle important de surveillance du gouvernement et de l'administration. Elles sont assistées dans leur tâche par le Contrôle fédéral des finances (CDF). Celui-ci doit leur communiquer ses rapports et leur signaler les principaux manquements établis. Certains constats ne font évidemment pas plaisir à tout le monde. Qui savait vraiment, avant que le CDF ne le révèle, que de nombreuses banques cantonales - comme celle de Zurich - bénéficient d'un régime fiscal spécial? Résultat: si toutes les banques cantonales payaient des impôts comme les banques privées, cela rapporterait 412 millions de plus par an aux cantons et à la Confédération.
La décision du Tribunal fédéral d'annuler, en avril dernier, les résultats de la votation de 2016 sur l'initiative populaire «Non à la pénalisation du mariage» relève du même principe. Il s'agit de ne pas laisser l'autorité faire n'importe quoi. Lors de la campagne, l'administration avait estimé à 80 000 le nombre de ménages qui auraient bénéficié de la réforme de l'imposition des couples mariés. En fait, ils auraient été plus de 700 000. On peut donc comprendre que les juges aient parlé de violation du droit à l'information des citoyens. Ce n'est pas la république des juges qui s'installe, c'est le bon fonctionnement de la démocratie qui est protégé.
La liberté d'investigation et d'expression des médias est tout aussi nécessaire. Quelques exemples. Ce sont les médias qui ont révélé le plus grand cas de corruption qu'a connu l'administration fédérale ces dernières années. Pendant dix ans, de 2004 à 2014, le responsable de l'informatique du Secrétariat d'Etat à l'économie a accordé, sans aucun contrôle, des contrats à millions à des entrepreneurs amis. Ce sont les médias qui ont révélé la fraude réalisée par une bonne dizaine de patrons ferrailleurs au détriment de la Caisse cantonale vaudoise de chômage, avec le concours de deux collaborateurs du syndicat Unia. Ce sont les médias qui ont révélé l'affaire de captation d'héritage qui a valu à Bruno Zuppiger, conseiller national UDC zurichois, de renoncer à sa candidature au Conseil fédéral.
Les corps intermédiaires eux-mêmes, partis, organisations professionnelles, mouvements d'idées, sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. Notamment lors des consultations sur des projets de loi. Sous cet angle, la Confédération respecte des règles strictes. Mais ce n'est pas le cas de tous les cantons. Dans le canton de Vaud, par exemple, la consultation reste le «fait du prince». Si le chef ou la cheffe d'un département ne souhaite pas ouvrir une consultation sur l'un de ses projets, rien ne se passe. Curieusement, les règles sur la consultation, inscrites dans la Constitution vaudoise en vigueur depuis seize ans, font partie des très rares dispositions à ne pas avoir été concrétisées dans une loi d'application.
L'existence de contre-pouvoirs est inhérente à la démocratie. Parlement, justice, médias, corps intermédiaires remplissent, chacun dans son rôle, une fonction vitale: permettre que le peuple gouverne.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans Le Temps le 16 mai 2019