Le scandale de CarPostal et la polémique qui se déplace de commune en commune au rythme de la fermeture des guichets postaux ne sont pas les seuls indices d'un management qui a perdu le sens du service à la population et à l'économie. La Poste semble oublier qu'elle est une entreprise propriété à 100% de la Confédération, autrement dit du peuple suisse, et qu'elle est régie par une loi qui lui fixe une mission et des règles de conduite.
Cette regrettable situation découle du comportement de la Poste dans la gestion de nombreux domaines: marchés publics, tarifs de distribution des journaux, Publibike, accord avec Amazon… Sur toutes ces questions, ce n'est pas la transparence mais une très obscure clarté qui règne le plus souvent dans les faits, comme dans les réponses fournies jusqu'à présent par la Poste et le Conseil fédéral.
En septembre 2018, un appel d'offres de la Poste m'a incité à déposer une interpellation parlementaire. Cet appel d'offres indiquait que seules les offres en allemand seraient acceptées et que la langue de projet et de négociation était l'allemand. Le Conseil fédéral n'a pas tardé à répondre que la Poste acceptait «dès maintenant (c'est moi qui souligne) des offres dans les trois langues officielles». Un rappel à l'ordre a donc suffi.
Mais à d'autres occasions, ce rappel ne suffit pas. La loi sur la Poste prévoit, par exemple, que les tarifs ordinaires d'acheminement des journaux dans les boîtes aux lettres doivent être les mêmes dans tout le pays et que des déficits peuvent être tolérés dans ce secteur d'activité. Or, personne ne sait aujourd'hui comment ces tarifs sont fixés. Les éditeurs de journaux se battent en justice depuis plusieurs années pour tenter de savoir comment ces tarifs sont calculés et s'ils respectent le cadre légal. La Poste n'en a cure. Elle continue d'appliquer des tarifs complètement opaques et, vraisemblablement, contraires à la loi.
Dans cette affaire, le Conseil fédéral soutient l'attitude de la Poste, en estimant que les méthodes de calcul des tarifs contestés sont couvertes par le secret des affaires. En clair, le gouvernement dit aux citoyens et à leurs représentants qu'ils n'ont pas le droit de savoir si les règles légales sont respectées ou non. Belle leçon d'obscurantisme.
Un épais brouillard couvre également les rapports financiers existant entre la Poste, CarPostal et Publibike, la filiale de CarPostal qui s'est lancée dans l'offre de vélos en libre-service dans les grandes communes de Suisse. Quand on lui pose des questions à ce sujet, le Conseil fédéral prend bien soin de préciser que c'est «selon les informations fournies par la Poste» qu'il répond. Une manière de n'assumer aucune responsabilité.
Sur le fond, il est notamment question de pertes de Publibike toutes ces dernières années, mais dont on ne communique pas le montant. Le Conseil fédéral ajoute que des prestations sont fournies par CarPostal à Publibike et qu'elles sont rémunérées par un forfait mensuel, lui aussi tenu secret. Quant aux investissements de Publibike, ils sont avant tout financés par des prêts accordés par d'autres entités du groupe La Poste à un taux qualifié d'usuel. Si vous souhaitez en savoir plus sur l'ampleur de ces prêts et à quel taux réel ils sont octroyés, vous repasserez. On risquerait de constater, qui sait, que Publibike est subventionné par la Poste, au détriment de ses concurrents sur le marché.
C'est le même type de questions qui se posent avec l'accord conclu par la Poste avec Amazon: respecte-t-il l'égalité de traitement avec les autres plateformes d'e-commerce? J'ai dû mener un véritable parcours du combattant parlementaire pour obtenir - enfin - que le Conseil fédéral exige qu'on applique la loi dans cette affaire.
Car le Conseil fédéral a d'abord déclaré que la Commission fédérale de la Poste, la PostCom, chargée de contrôler la Poste, n'avait constaté aucune irrégularité dans le domaine des tarifs appliqués aux plateformes d'e-commerce. Sur quoi, la PostCom m'a fait savoir qu'elle ne s'estimait pas compétente pour contrôler cet aspect des choses. Bien embarrassé, le Conseil fédéral a alors affirmé qu'il y avait des divergences de vues concernant les compétences de la PostCom et que cette question devait être clarifiée dans le cadre d'une procédure judiciaire…
Ce n'est que tout récemment, en mai 2019, que le gouvernement a finalement accepté de prendre des mesures pour obliger la PostCom à respecter ses obligations légales et à contrôler les activités de la Poste, y compris concernant l'accord avec Amazon et les autres plateformes d'e-commerce. Cet heureux revirement, est-il annonciateur d'un changement d'attitude du Conseil fédéral vis-à-vis de la Poste?
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans le Journal des arts et métiers du 5 juillet 2019