La campagne qui a précédé la votation du 11 mars 2012 sur l’initiative concernant les résidences secondaires a été vive, à la hauteur des enjeux pour notre pays, en raison de sa vocation touristique, et surtout pour les cantons alpins qui en vivent plus que les autres. La Fédération romande immobilière s’est battue, avec d’autres, contre cette initiative parce qu’elle vise à régler une question légitime avec des dispositions-massues qui bloquent tout. Malheureusement, elle n’a pas été suivie. Quelles conclusions faut-il en tirer? Et comment préparer l’avenir?
Le principal enseignement à tirer du scrutin du 11 mars, c’est que les Chambres fédérales doivent se remettre à opposer des contre-projets directs aux initiatives populaires qui s’avèrent excessives afin d’offrir un véritable choix aux citoyens lors des scrutins. Les contre-projets directs se caractérisent par la prise en compte de la volonté des initiants mais sous une forme réaliste, pragmatique et applicable. Pendant la campagne relative à l’initiative de Franz Weber, on n’a guère évoqué les modifications que le Parlement a apportées à la loi sur l’aménagement du territoire, en vigueur depuis le 1er juillet 2011. Ces nouvelles dispositions obligeaient pourtant les cantons et les communes à prendre des mesures concrètes en vue d’assurer une proportion équilibrée de résidences principales et de résidences secondaires sur leur territoire. Le dispositif prévu était vigoureux puisqu'il interdisait la délivrance de permis de construire des résidences secondaires dans les cantons qui n’auraient pas pris des mesures suffisantes d’ici au 30 juin 2014. Si ces modifications légales avaient été soumises à la votation populaire en même temps que l’initiative, sous la forme d’un contre-projet direct, il est quasiment certain que l’initiative aurait été rejetée.
Atteinte à la sécurité du droit
A présent, il va falloir mettre en œuvre l’initiative. Et c’est là que le bât blesse. Le texte de l’initiative est tellement mal rédigé qu’il crée de multiples incertitudes, guère propices à la sécurité de droit qui fait d’ordinaire la force de la Suisse.
En vertu des principes généraux du droit constitutionnel, l’initiative est entrée en vigueur le 11 mars dernier, au moment de son acceptation. Cela étant, l’initiative contient une disposition transitoire qui prévoit que les permis de construire des résidences secondaires délivrés après le 1er janvier 2013 sont nuls. Faut-il en déduire que les permis de construire délivrés avant le 1er janvier 2013 sont valables? Cette interprétation semble logique. Pourquoi les initiants auraient-ils rédigé la disposition transitoire en cause s’ils n’avaient pas voulu créer une distinction entre la période suivant le 1er janvier 2013 et celle précédant cette date? L’administration fédérale paraît toutefois douter de cette interprétation et appelle à la prudence. J’ai déposé une interpellation à ce propos au Conseil national dès le lendemain de la votation, le 12 mars 2012.
Il s’agit aussi de définir ce qu'est une résidence secondaire. Qu’en est-il des logements de vacances mis en location, pendant toute l’année ou pendant certaines périodes de l’année? Qu’en est-il des «pieds à terre» dans les régions urbaines? Si la définition de la résidence secondaire est très restrictive, les initiants risquent de lancer un référendum contre la loi d’application. A l’inverse, si la définition est trop large, on risque de causer des torts irréparables à l’économie touristique.
Marathon statistique
Un important travail statistique doit également être accompli. L’initiative prévoit que «les résidences secondaires constituent au maximum 20% du parc des logements et de la surface brute au sol habitable de chaque commune». En d’autres termes, l’initiative pose deux conditions. Sont-elles cumulatives ou alternatives? L’interdiction de créer des résidences secondaires s’applique-t-elle lorsque les deux conditions sont réunies simultanément ou suffit-il qu’une des conditions soit remplie? Quoi qu’il en soit, il faut déterminer dans chaque commune susceptible d’être concernée par le plafond de 20% le nombre de résidences secondaires par rapport au nombre total de logements. Et mesurer la surface habitable de l'ensemble des résidences secondaires de chaque commune pour la mettre en rapport avec la surface habitable totale de chaque commune. Or, il n’y a pour l’heure guère de statistiques vraiment utilisables en la matière.
Enfin, il faut clarifier les questions ayant trait à la vente de résidences secondaires. Pendant la campagne, les initiants se sont engagés à admettre la vente des résidences secondaires existantes en résidences secondaires. En revanche, il est peu probable que les résidences principales pourront être vendues en résidences secondaires dans les communes ayant dépassé le plafond de 20%.
Comme on le voit, les Suisses ont été appelés à se prononcer sur une initiative bâclée, qui soulève plus de questions qu'elle ne prétendait en résoudre. Le travail qui attend le Conseil fédéral et le Parlement est gigantesque. Un groupe de travail nommé par la conseillère fédérale Doris Leuthard s’est déjà réuni le 3 avril dernier. Mais il ne rendra ses premières conclusions politiques et juridiques qu’à l’issue des vacances d’été. Bon courage.
Olivier Feller
Secrétaire général de la Fédération romande immobilière
Conseiller national
Article publié dans l'AGEFI du 11 avril 2012